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Drôle de temps

Article proposé le jeudi 3 juillet 2008, par Jean-Pierre Nizet


Eric Woerth, ministre du budget, osait déclarer il y a peu : « L’insécurité professionnelle est un moteur qui vous fait dire, il faut que je prouve, que je rende des comptes, rien n’est acquis, tous les jours il faut acquérir ». De son côté, Madame Parisot, présidente du Medef, se distinguait avec cette formule désormais proverbiale : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »

Deux petites phrases assassines proférées par des personnes qui n’ont jamais connu, ni de loin, ni de près, l’insécurité au travail, les fins de mois difficiles, la « pitance » incertaine. Avec Madame Parisot, la précarité est inhérente à la vie, c’est comme ça. Avec Monsieur Woerth, la précarité est un ressort, une source d’énergie, un moteur. Un moteur ? Le moteur peut-être d’une économie néo-libérale qui a besoin d’un volant incompressible de précaires pour favoriser la finance et les revenus boursiers ? Démantèlement du code du travail. Obligation pour les demandeurs d’emploi d’accepter des salaires toujours plus bas et en dessous de leurs qualifications, ce qui tire la rémunération de l’ensemble des salariés vers le bas. Une machine à radier les chômeurs qui tourne à plein régime. Un nombre de travailleurs pauvres de plus en plus élevé.

Dans ce contexte de dépérissement du monde du travail, les patrons des grandes entreprises du CAC 40 ont vu leurs revenus augmenter de 58% en un an. Nous arrivons à cette équation obscène où un patron du CAC 40 gagne en une journée le salaire annuel d’un smicard.
Alors un moteur pour qui ? Certainement pas pour les personnes qui témoignent dans ce numéro du Sept. Pour ces personnes, la précarité n’est ni une fatalité, ni une opportunité.

Ces deux petites phrases ne sont pas anecdotiques, elles révèlent assez bien l’état d’esprit qui gouverne ce pays. La version déterministe de Madame Parisot légitime la précarisation de la main d’œuvre et la détérioration des conditions de travail. La version volontariste de Monsieur Woerth autorise le renversement sémantique qui fait passer les précaires et les chômeurs d’une situation de victimes à une position d’accusés. « Rien est acquis, mon ami, il faut se bouger. Tu ne crois pas que tu vas vivre aux crochets de la société tandis que tes
concitoyens, eux, continuent à se lever tôt chaque matin pour aller gagner leur vie et payer des impôts. »

Devant l’agence ANPE des Arènes à Toulouse, j’ai rencontré Daniel. Cet homme de 57 ans est au chômage depuis trois ans. Daniel se dit humilié. Il a honte de ne plus compter, de ne servir à rien, de multiplier les stages de formation bidon. Son âge lui laisse entendre qu’il ne trouvera plus de boulot. Daniel a cotisé à l’assurance chômage, il a
travaillé plus de 30 ans. Daniel est un contribuable, il s’acquitte toujours de la TVA, de la CSG, de la redevance télé et des impôts locaux. Daniel a honte alors qu’il n’a pas demandé à perdre son emploi.

Daniel a honte alors que les fabricants de « précaires » en grandes séries se refusent toujours à empourprer leurs visages.

Drôle de temps.

Jean-Pierre Nizet

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