L’écriture de l’histoire* de la maison des chômeurs « Partage » de Toulouse m’a fait prendre conscience de cet anniversaire des vingt ans. C’est en 1986 qu’ouvrait au 2, rue de la Daurade dans un local prêté par la paroisse du même nom, ce nouveau lieu d’accueil insolite. Nous étions, dans une période qui précédait la loi du Revenu Minimum d’Insertion de Michel ROCARD, face à des hommes et des femmes jeunes et moins jeunes que l’on appelait alors « des disparus économiques ».
Nous recevions des « Fins de droits » ayant épuisé l’indemnisation de leur assurance chômage et des jeunes étiquetés chômeurs sans n’avoir jamais travaillé. Si l’on considère une histoire individuelle, vingt ans, c’est un anniversaire que l’on marque plus particulièrement. Il reflète la jeunesse et en même temps le passage dans des années qui conduisent la plupart du temps à la maturité. Nous souhaitons avec le Conseil Général de la Haute Garonne que cette journée de réflexion et de retrouvailles - pour certains - marque une étape dans le développement des Maisons de chômeurs et leur évolution.
Dans la lignée de l’expérience parisienne de Maurice PAGAT et du syndicat des chômeurs et du Mouvement « Partage » nous avons ouvert ce lieu d’accueil sans trop savoir où nous allions sur un plan professionnel, mais forts de convictions militantes. Elles sont à l’origine de cette initiative toulousaine. Un combat pour plus de justice s’imposait, qui a trouvé sa force pour les pionniers que nous étions dans des traditions spirituelles et dans un humanisme qui nous réunissaient. Comment ne pas évoquer Michel VINTROU qui nous a quittés il y a deux ans ? Il a accepté de présider cette association et de vivre avec nous cette aventure. Professeur des classes préparatoires du Lycée Fermat, préparant ainsi l’élite du pays et luttant avec nous comme Président, certes, il était aussi acteur militant ; nous lui devons beaucoup.
SPECIFICITE DE CE LIEU : MILITANTISME, ACCUEIL, SERVICES, ACTIVITES
Nous avons bâti ce lieu avec les chômeurs accueillis, en leur demandant ce qu’il serait utile de faire pour améliorer leurs situations, passagères pour certains et beaucoup plus longues pour d’autres. Nous avions à cœur d’expliquer nos motivations militantes (inspirées du journal PARTAGE, de lectures diverses et notamment Hannah ARENDT et André GORZ) mais nous souhaitions aussi répondre à des besoins de services gratuits non assurés nulle part dans les années quatre vingt : CV, Conseils juridiques, Conseil ASSEDIC - en lien, à l’époque, avec la CFDT - recherche de logement (ce service deviendra l’association APART) consultation santé avec d’éminents professionnels toulousains du secteur psy, diverses activités dites « du temps libéré » : informatique, contes, danses, gym, peinture, au fur et à mesure des besoins exprimés et du manque d’argent pour « vivre » un temps de loisirs.
Notre originalité toulousaine au sein de ce mouvement « Partage » a été de réunir chômeurs et non chômeurs, car l’isolement et l’envie de rencontres étaient criants. Ce lieu est devenu très vite un lieu convivial, une maison où l’on mange ensemble et où la personne accueillie est invitée à donner son avis sur ce qui lui arrive avec le chômage. J’y ai rencontré des gens formidables dont certains sont devenus des amis. Ce lieu doit beaucoup au Conseil Général qui a trouvé, au moment de la loi du Revenu Minimum d’Insertion, dans notre maison, un lieu d’insertion sociale et professionnelle déjà en marche.
TETE DE RESEAU NATIONAL
Relayée par les médias locaux et nationaux, l’information circulant du bouche à oreille s’est amplifiée. Nous avons vite été débordés, nous avons dû déménager, nous installer dans des locaux plus grands, au 10 rue Dalmatie puis au 31 rue Peyrolières. Notre réflexion sur l’organisation du temps libéré, les différents colloques toulousains : « Emploi et société de demain » « La gestion du temps et le chômage », l’organisation du « Mur de l’indifférence » place du Capitole etc … et notre participation à Paris aux Etats Généraux du chômage et de l’emploi, organisés par Maurice PAGAT et le Mouvement « Partage », nous ont fait repérer sur le plan national. Site pilote inauguré par Bernard KOUCHNER alors chargé de l’Action Humanitaire et de l’insertion auprès du Premier Ministre Michel ROCARD, nous sommes devenus « tête de réseau national » en province !
PARTICIPATION AU DEVELOPPEMENT DES MAISONS DES CHOMEURS
La responsable du DSU du quartier de la Faourette nous a sollicités pour tenter l’ouverture d’une antenne dans ce quartier. Ce que nous avons fait. De nombreuses associations ont fait appel à nous. A l’anniversaire des 10 ans nous avons connu une crise de croissance un peu normale. Une restructuration a vu la naissance de plusieurs entités qui sont devenues autonomes : la maison des chômeurs, le service du logement, l’antenne de la Faourette. Nous avons, avec le Réseau de Citoyenneté Sociale, poursuivi la tâche entreprise sur le plan national et conçu un service de création d’activités économiques. Durant cette période « délicate » nous devons beaucoup à Bernard GINISTY, promoteur du développement « d’espaces microsociaux ».
LES QUESTIONS QUI ETAIENT LES MIENNES AU DEPART A LA RETRAITE ET AUJOURD’HUI
L’histoire du syndicalisme dans les entreprises révèle l’utilité d’un lieu militant dissocié du lieu de travail. Il y a un espace différencié et des personnes détachées pour accomplir ce travail.
Fallait-il, comme l’avait pensé Maurice PAGAT à l’origine, distinguer dans le mouvement des chômeurs, des lieux associatifs professionnels comme les maisons, du syndicat qu’il souhaitait créer - et qui n’a pas marché - ? On peut se demander aussi s’il fallait un syndicat des chômeurs et si, aujourd’hui encore, un syndicat des chômeurs serait nécessaire.
Les maisons des chômeurs doivent-elles travailler à leur disparition ou évoluer ? Nous nous sommes souvent présentées par la négative : ni une ANPE bis, ni un service social, ni un organisme caritatif. Qui sommes nous ? L’accompagnement social que nous développons est nouveau. Il repose sur une éthique d’engagement réciproque entre les personnes accueillies et les membres de l’équipe. Nous sommes, là, différents des pratiques professionnelles du travail social fondées davantage sur une perception unilatérale de l’échange. Nous travaillons dans la perspective d’engager les « deux parties » au-delà de la « prestation » proprement dite. Mais nous utilisons cette « prestation » comme support pour développer de l’engagement et de la citoyenneté sociale. Cela représente, déjà, la dimension militante de notre action sur le plan professionnel.
Le chômage, le travail précaire dans sa durée génèrent la pauvreté. Elle est d’une très grande ampleur dans les quartiers dits sensibles, relevant de la politique de la ville. La lutte contre l’exclusion et la précarité est notre priorité. Nous pouvons nous considérer comme un lieu de citoyenneté sociale ayant la vocation de légitimer les mouvements de solidarité de proximité, renforcer la capacité de réflexion et d’organisation des habitants, inventer avec eux et les acteurs associatifs et institutionnels des dispositifs de « coopération sociale ».
Il est indéniable qu’un militantisme nouveau émerge de ces lieux de création collective. Reste, cependant, à trouver un chemin, mieux reconnu, de représentation de ces situations à la fois pour faire entendre les revendications qui s’imposent mais aussi réclamer la création de nouvelles trajectoires professionnelles pour les individus. Notre modèle salarial ne fonctionne plus pour tous. Si nous parvenions à porter nos efforts à mieux « cibler » un lieu militant différent du lieu de services, d’activités, de création, de coopération sociale, qui demande un gros investissement professionnel, nous trouverions peut-être plus facilement un terrain de rencontre et d’enrichissement mutuel avec les syndicats de salariés. Nous pourrions ensemble chercher comment consolider ces nouvelles trajectoires professionnelles discontinues. Cette intermittence ne nécessite-t-elle pas la création d’un syndicat des intermittents - autre que celui spécifique du spectacle - création qui pourrait devenir un objectif commun des syndicats de salariés et des chômeurs ?
* « Le chômage, problème ou solution ? » en attente d’éditeur