Une violence plus silencieuse que celle des émeutes qui stigmatisent les « quartiers » accomplit un travail de sape bien réel : violence des propos méprisants ou mal ajustés dont sont victimes nombre d’habitants des quartiers ; violence d’une exclusion de fait avec un taux de chômage plus élevé ici qu’ailleurs ; violence éprouvée par ceux qui souhaiteraient déménager et ne le peuvent car… ils font peur. Personne ne veut près de chez soi « la racaille du Mirail ».
Violence subie par les jeunes des quartiers qui ne trouvent pas leur place dans la société française (quelle que soit leur appartenance d’origine). Ainsi s’indignait un papa au moment des émeutes : « Nos enfants sont les mêmes que les autres ! Si vous prenez une graine pour la mettre dans une bonne terre, bien arrosée, avec du soleil en temps voulu, elle deviendra une belle plante. Si vous prenez la même graine pour la planter en terre aride, avec des conditions climatiques rudes : quelle plante en sortira ? »
Habiter dans ces quartiers donne une perception particulière de la situation, qu’il est difficile de communiquer à ceux qui n’y vivent pas. Ici, des milliers de personnes dignes et aimables savent trouver au quotidien les gestes et les paroles qui rendent la vie possible et humaine. Ici, se vit un mélange étonnant de cultures et de religions : c’est extraordinaire que la vie quotidienne y soit aussi paisible malgré la galère que beaucoup vivent.
Pour durer ici, il faut faire le choix délibéré d’aimer le quartier, de s’ouvrir à la différence. Comme le dit Odette, notre voisine : « Ici, on est acculé à cette ouverture : cela permet de passer par-dessus ce qui ne plaît pas et de recevoir toute la richesse de ce mélange de population… Ici, on se salue beaucoup, il y a de la fraternité. je suis touchée par la gentillesse des gens ».
Pour durer ici, il faut aussi consentir à être confronté à une certaine forme d’impuissance : l’information que nous avons est toujours partielle, nos moyens d’agir et notre disponibilité ne sont pas toujours à la hauteur de nos désirs de faire évoluer la situation. D’où l’importance de trouver des lieux de parole.
La communauté est le premier lieu qui nous aide à durer ensemble, à accueillir notre présence ici dans un regard de foi : témoigner d’un Dieu qui rassemble et invite à une fraternité universelle. Chemin de conversion sur lequel nous avons besoin du témoignage et du regard de chacune pour nous laisser déloger de nos propres résistances à l’ouverture !
Dans le quartier, nombre d’associations proposent des lieux de rencontre, de débat, de dialogue. Par exemple : rencontres entre adultes proposées par « Droit de Cité ». C’est l’occasion pour les parents de prendre conscience de la complexité de ce que vivent leurs jeunes et d’exprimer leur besoin d’être soutenus. Une palette de propositions pour les enfants : théâtre d’expression, exposition de photos prises par eux pour dire ce qu’ils aiment de leur quartier,propositions de sorties, bibliothèques de rue… Autant de graines d’espérance semées qui donnent confiance en l’avenir que nous voulons construire ensemble, au-delà de la violence inhérente à toute vie en société.
Publication originale dans la revue Dialogue, n°74, année 2007